LA RETRAITE A 60 ANS :
POSSIBLE, JUSTE ET FINANCABLE
Extraits du discours de Bernard Thibault au meeting du 31 janvier 2012
« La CGT n’entend pas fuir les problèmes, elle a une analyse, des revendications et une conception qui doivent être pris en compte. Nous avons au moins 3 défis à relever : le défi de la démographie, le défi de l’égalité, le défi de la crise.
1) La démographie, c’est le défi derrière lequel se cachent tous ceux qui veulent imposer des mesures régressives. …Sur le fond, chacun sait que sur le très long terme, ce qui va être déterminant pour faire face aux besoins de financement sera le nombre de personnes réellement au travail, leur niveau de qualification, le volume des investissements et l’importance du progrès technique.
A quoi ça sert de reculer l’âge de départ à la retraite quand un salarié sur deux n’est plus en activité quand il liquide sa pension, parce que très souvent il a été licencié avant l’heure ?
A quoi ça sert de reculer l’âge de départ à la retraite pour les salariés que les entreprises veulent bien garder pendant que nos enfants se voient fermer la porte des bureaux d’embauche ?
La loi de 2010, c’est 1 million d’emplois fermés aux jeunes. …
A quoi ça sert d’user davantage les salariés au travail quand 4 à 5 millions de personnes en âge de travailler sont refoulées et marginalisées ?
Le véritable cancer ce ne sont pas les bénéficiaires d’allocations sociales, ce ne sont pas les retraités trop nombreux, c’est le chômage et la précarité des emplois au nom du profit.
Le véritable fléau, c’est de ne faire travailler que ceux qui ont entre 30 et 50 ans en exigeant d’eux toujours plus de productivité, toujours plus de flexibilité. …
2) Il y a le défi de l’égalité. … A travail équivalent, deux salariés doivent avoir la même retraite, qu’ils soient du public ou du privé, qu’ils soient femme ou homme, qu’ils aient accompli leur carrière dans un grand groupe ou dans une PME. Contrairement à ce qui est martelé, même avec des modes de calcul différents, l’écart des retraites entre salariés du public et salariés du privé, à structure de qualification égale, est aujourd’hui minime, qu’on le mesure dans l’absolu ou au travers du taux de remplacement du salaire par la retraite.
Par contre, on ne parle pas de la différence entre la pension moyenne des hommes et celle des femmes qui continue à être considérable : la retraite des femmes représente en moyenne moins de 65% de celle des hommes ! …
Je rappelle que l’égalité salariale entre les femmes et les hommes apporterait à la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse 4 milliards en 2014 et 20 milliards en 2020 tout en ouvrant des droits supplémentaires pour les femmes.
On ne parle pas non plus assez de l’inégalité fondamentale que représente l’inégalité d’espérance de vie due aux conditions de travail.
Comment peut-on admettre aujourd’hui que des ouvriers puissent voir leur perspective de retraite en bonne santé raccourcie en moyenne de 6, 7 ou 8 ans par rapport à des catégories plus favorisées ?
Avec la loi de 2010, le gouvernement a prétendu répondre à la question de la pénibilité. Comme chacun le sait, il n’en a rien été. Ce que le gouvernement a mis en place, c’est un dispositif bis d’invalidité. Ce dispositif devait concerner, selon le gouvernement, de l’ordre de 15 à 20 000 salariés par an lorsqu’il aurait atteint son régime de croisière. Eh bien nous en sommes loin ! Selon les chiffres de la CNAV, seulement 997 pensions au titre de la pénibilité ont été attribuées entre le 1er juillet et le 31 décembre 2011 !
Pour notre part, nous évaluons entre 100 et 150 000 par an le nombre de salariés qui devraient bénéficier d’un véritable dispositif pénibilité. Cette évaluation n’est pas faite au doigt mouillé. Nous avons travaillé avec les organisations de la CGT, des experts de différentes disciplines. … Ces travaux ont permis la définition de critères nous mettant en capacité de mieux identifier la pénibilité, condition indispensable à sa juste reconnaissance. …
Comment, lorsqu’on parle des inégalités, ne pas s’intéresser aux écarts de traitements entre le haut et le bas de l’échelle ?...
3) Le troisième défi est celui que pose la crise.
La vraie nouveauté du Rapport de 2010 du Conseil d’orientation des retraites était le chiffrage des conséquences de la crise sur l’équilibre à court et moyen terme du système de retraite du fait de l’effondrement de l’emploi. …On doit exclure de faire payer aux salariés une troisième fois le coût de cette crise.
Cette détérioration flagrante de la situation des retraites alimente le doute sur la pérennité de notre système, notamment chez les jeunes, et sert de point d’appui aux campagnes de promotion des systèmes par capitalisation au nom de la liberté individuelle. Le développement des systèmes d’épargne individuelle est d’emblée dangereux. La CGTrécuse l’idée de fonds de pension.
La retraite doit demeurer une notion collective propre à la répartition, différente de la logique patrimoniale. La situation présente d’une majorité de fonds de pension de par le monde devrait dissuader d’aller plus loin. …
La CGT refuse la piste d’un « troisième étage » des régimes de retraite en capitalisation qui « cannibaliserait » forcément la répartition. La CGT ne s’inscrit pas davantage dans la perspective d’un abandon du régime de retraite actuel au bénéfice de mécanismes par points ou par « comptes notionnels ».
Faire dépendre davantage le montant de sa future retraite de sa seule capacité d’épargne ou de choix purement individuels briserait les solidarités et augmenterait les inégalités. Encore une fois, ce sont ceux du bas de l’échelle qui seraient les principaux perdants.
Quels sont les objectifs pour lesquels se bat la CGT ?
Le retour du droit à la retraite à 60 ans pour tous. Comme son nom l’indique, l’utilisation de ce droit au départ est laissée à l’appréciation du salarié qui, s’il le souhaite, peut poursuivre son activité,
L’instauration d’un droit au départ anticipé pour les métiers pénibles par des bonifications de carrière liées à l’intensité et aux années d’exposition aux facteurs de pénibilité,
La redéfinition de ce qu’est une « carrière complète » pour acquérir l’ensemble de ses droits en intégrant des périodes liées aux études et à l’inactivité forcée,
Un niveau de pension au minimum de 75% du salaire d’activité avec un plancher égal au SMIC. Je rappelle que la CGT revendique le SMIC à 1700 euros,
Une période de référence pour le calcul des droits à la retraite qui prenne en compte les meilleures années de salaires,
Une indexation des pensions liquidées sur l’évolution des salaires des actifs.
S’agissant des besoins de financement je voudrais rappeler quelques pistes qui ne sont pas exhaustives :
- la sortie de la politique d’exonération de cotisations patronales qui coûte aujourd’hui plus de 30 milliards par an aux finances publiques. C’est au bas mot 10 milliards d’euros qui pourraient revenir aux régimes de retraites. Pour cela, une réforme du mode de contribution sociale des entreprises est indispensable ;
- L’abandon d’une pure logique d’assurance qui permet aux employeurs les moins vertueux de reporter sur les autres les coûts liés à leur comportement. Plus l’entreprise réduit ses effectifs et ses salaires, plus elle réduit ses contributions aux régimes sociaux. Nous proposons de transformer la contribution patronale aux institutions sociales sur la base d’une modulation des cotisations permettant notamment de tenir compte de leur gestion de l’emploi et du travail ;
- l’extension de l’assiette des cotisations pour la retraite à tous les éléments de rémunération, primes, intéressement, participation. 120 milliards d’euros de rémunérations para-salariales échappent aujourd’hui totalement ou partiellement aux cotisations sociales d’après la Cour des Comptes. Elle procurerait dans l’immédiat 9 à 10 milliards de ressources supplémentaires ;
- la mise à contribution des revenus financiers des entreprises au moins à hauteur de la cotisation des salariés. Seuls les revenus tirés des placements financiers des personnes physiques sont imposés. Il s’agirait d’instaurer un prélèvement spécifique pour les personnes morales qui perçoivent bon an mal an 250 milliards de revenus financiers. Un prélèvement voisin du niveau de la cotisation patronale retraite rapporterait chaque année 20 milliards d’euros.
Ces mesures, associées à une véritable politique pour le plein emploi, permettraient de financer à l’horizon 2050 les 4 à 6 points de richesses indispensables.
Garantir notre système et améliorer la retraite est donc tout à fait crédible. »
Pénibilité : public et privé sont dépendants l’un de l’autre
Dans le public : une reconnaissance collective de la pénibilité
Dans la Fonction publique, la reconnaissance collective de la pénibilité du travail passe par le « service actif », qui donne droit à départ anticipé 5 ans avant l’âge ordinaire de départ en retraite.
Dans le privé, la reconnaissance promise de la pénibilité a été vidée de son sens par la réforme 2010, qui ne reconnaît qu’une forme d’invalidité-bis : on peut partir à 60 ans si on a 20% d’incapacité, ou 10% après avis d’une commission de sélection. Une fois les salariés cassés, on reconnaît les dégâts du travail !
Dans la Fonction publique, un agent sur quatre partis en retraite en 2010 bénéficiait du « service actif » (39.000 sur 139.000).
Dans le privé, seules 2.500 demandes de départ pour pénibilité ont été enregistrées en 7 mois d’ouverture du droit, alors que le gouvernement prévoyait 30.000 départs par an. Pour la CGT, ce sont 15% des salariés du privé qui subissent la pénibilité, ce qui devrait conduire à plus de 100.000 départs anticipés par an.
Les attaques gouvernementales
Le gouvernement a imposé au corps en service actif le plus nombreux, celui des infirmier(e)s, l’abandon de la reconnaissance de la pénibilité contre le passage en catégorie A. Plus de 100.000 agents ont opté pour la catégorie A. Le gouvernement veut remettre en cause le service actif dans la Fonction publique, parce qu’il permet un départ anticipé 5 ans avant l’âge de départ en retraite.
La Fonction publique ne conservera pas la reconnaissance collective de la pénibilité si les salariés du privé ne la gagnent pas.
Dans les entreprises, des accords d’entreprises ou de branches, (EDF, dockers,…), reconnaissent le caractère collectif de la pénibilité, liée à certaines activités, et non pas à la santé de chaque individu. Ces accords permettent des départs anticipés pris en charge par les entreprises. Il faut aller plus loin, se rapprocher du système de la Fonction publique, en l’adaptant (5 ans de départ anticipé en retraite, 1 trimestre par année de pénibilité).
Pour des critères de pénibilité communs au public et au privé
Dans la Fonction publique, le service actif repose sur une base juridique floue : « un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles », la nomenclature des emplois étant établie par décret en Conseil d’Etat. Cela a permis toutes les manipulations, et des retraits totalement arbitraires du service actif, comme pour les infirmières.
La CGT revendique qu’un décret Fonction publique en Conseil d’Etat liste les critères généraux de pénibilité ouvrant droit à la reconnaissance d’un corps en service actif ; ce qui permettra aux agents qui n’en bénéficient pas, ou qui l’ont perdu de façon arbitraire, de bénéficier du départ anticipé.
Le décret n° 2011-354 du 30 mars 2011 relatif à la définition des facteurs de risques professionnels (contraintes physiques marquées, environnement agressif, certains rythmes de travail) pour les salariés du privé peut servir de base, et être enrichi de la dangerosité particulière aux contraintes de service public.
Tous les agents en service actif ont vocation, pour la CGT, à bénéficier de la même bonification de service que nous revendiquons pour le privé, un trimestre de plus par année.
Pour la reconnaissance de la pénibilité, agents du public et salariés du privé dépendent les uns des autres. Défendre et consolider le service actif, c’est aussi défendre les salariés du secteur privé qui ont les conditions de travail les plus rudes.
Débat 2013 sur les retraites :
un régime unique pour baisser encore les retraites ?
La prochaine étape de la réforme des retraites sera l'organisation en 2013, voire 2012, d'un débat devant les assemblées parlementaires sur la possibilité d'instaurer un régime unique de l'ensemble des régimes de retraite de base (régimes général, agricole, spéciaux, fonctionnaires,...).
Le Medef est très clair : il propose d'aller vers un régime unique de base (par comptes notionnels), de mettre en place un régime complémentaire pour les fonctionnaires, de ne pas augmenter les cotisations mais de travailler plus longtemps, et de reculer encore l'âge de la retraite après 2030. Dans le monde syndical, la CFDT demande l'organisation d'un débat, sur une réforme systémique et l'instauration d'un régime unique.
La CGT est défavorable à une réforme systémique. Le seul objectif d'un régime unique, c'est de permettre une baisse des retraites plus facile, c'est de refuser l'augmentation des dépenses de retraite, alors qu'elle est inévitable.
La CGT propose de coordonner l'ensemble des régimes sur des objectifs communs : retraite à partir de 60 ans, jusqu'à 65 ans au plus, 75% de taux de remplacement du salaire d'activité pour une carrière complète, aucune retraite complète inférieure au SMIC, prise en compte des années d'inactivité forcée, études et chômage,.... C'est d'une plus grande solidarité des régimes de retraites, et d'une gouvernance démocratique sur des objectifs partagés, dont le système de retraite a besoin en France, et pas d’une unification artificielle.
Retraite additionnelle de la Fonction publique
un régime par capitalisation à mettre en extinction
Sous prétexte de prendre en compte les primes des fonctionnaires pour la retraite, le gouvernement a mis en place en 2003 un régime de retraite obligatoire par capitalisation, pour les 4,6 millions de fonctionnaires et militaires.
Aujourd'hui la retraite additionnelle joue un rôle accessoire de complément de retraite, les cotisations étant faibles sur les primes, 1% du salaire brut pour 20% de primes au maximum pour l'agent, autant pour l'employeur. Les droits ne sont ouverts que depuis 2005, et le complément de retraite serait d'environ 1% du salaire brut par décennie de cotisation pour 20% des primes.
Or les retraites des fonctionnaires sont d'un faible montant, du fait de l'écrasement de la grille indiciaire sur le SMIC. Leur taux de remplacement réel par rapport au dernier salaire est très inférieur à 75% pour une carrière complète, du fait de l'absence de prise en compte du montant des primes.
En fin de catégorie C, à l'indice majoré 430, un agent (retraite complète à 75% de l’indiciaire) part en retraite avec 107% du SMIC ; en fin de catégorie B, à l'indice majoré 562, avec 140% du SMIC ; en fin de catégorie A, à 783 majoré, avec 195% du SMIC.
Le taux de remplacement de la retraite par rapport au dernier salaire est de 60% en moyenne, car les rémunérations accessoires représentent 25% du salaire indiciaire pour les fonctionnaires d''Etat. Pour les cadres non enseignants, c'est bien pire, puisque ce taux de remplacement tombe à 53% de la rémunération totale pour les attachés et inspecteurs, et à 45% pour les cadres de direction. On est bien loin de l'objectif de 75% !
Le risque, si on ne corrige pas cette réalité, c'est que de nombreux fonctionnaires, en particulier chez les cadres, demandent que la retraite additionnelle prenne une importance beaucoup plus grande. Ce serait alors une brèche décisive pour généraliser la retraite obligatoire par capitalisation dans le privé aussi. Il suffit de voir qu'aux Pays-Bas un fonds de pension sur trois va baisser les retraites servies en 2012 pour mesurer les risques qui seraient alors pris.
Renégocier la grille indiciaire de la Fonction publique, intégrer dans la grille les primes ayant valeur de complément salarial, est une urgence de plus en plus grande, pour le pouvoir d'achat et la reconnaissance des qualifications, mais aussi pour atteindre vraiment une retraite complète à 75% du dernier traitement. C'est pourquoi, la mise en extinction du régime de la Retraite additionnelle de la Fonction publique est nécessaire, et salutaire.